[Redcercana] Le Temps: Menace nucléaire...
Yolanda Rouiller
roal en nodo50.org
Vie Abr 27 11:33:56 CEST 2018
Menace nucléaire: l'immobilisme des Etats dénoncé par la société civile
Les Etats parties au Traité de non-prolifération nucléaire sont réunis
jusqu'au 4 mai au Palais des Nations à Genève. Face au risque croissant
de conflit nucléaire, les ONG montent au créneau. Témoignage poignant
d'une survivante d'Hiroshima
Au Palais des Nations à Genève, où se tient depuis lundi une réunion
préparatoire de la Conférence d'examen du Traité de non-prolifération
nucléaire (TNP) prévue en 2020, les délégations des Etats parties au TNP
peinent à cacher les tensions et les risques de déflagration nucléaire.
Or force est de le constater: en dépit de l'obligation de réduire leurs
arsenaux atomiques en vertu de l'article VI du TNP, les puissances
nucléaires reconnues sont plutôt en phase de les moderniser à coups de
milliards. Loin de la bipolarité de la guerre froide, le risque de
prolifération n'a jamais été aussi prononcé.
Une foule d'ONG sont venues à Genève pour dénoncer l'immobilisme des
acteurs étatiques. Ce clash entre des Etats et la société civile
n'aurait pas pu être plus manifeste qu'à Genève, ville de paix abritant
la Conférence du désarmement. A l'image de la Campagne pour l'abolition
des armes nucléaires (ICAN), la coalition d'ONG basée à Genève qui a
décroché le Prix Nobel de la Paix l'an dernier, la société civile juge
nécessaire d'agir et d'assumer ses responsabilités pour éviter de rendre
un conflit nucléaire inéluctable.
L'équilibre de la terreur
Wolfgang Schlupp-Hauck, 60 ans, n'aurait manqué le rendez-vous genevois
pour rien au monde. Il a lui-même vécu de près la notion d'équilibre de
la terreur propre à la guerre froide. Quand le chancelier Helmut Schmidt
accepte d'accueillir des missiles américains Pershing sur le sol
allemand, son sang ne fait qu'un tour. Au début des années 1980, il
manifeste aux côtés de nombreux pacifistes allemands. Il sera arrêté à
trois reprises aux côtés de 3000 autres manifestants.
A l'ONU, il est venu avec diverses organisations pacifistes pour
présenter le Manifeste de Mutlangen, du nom de la ville du
Bade-Wurtemberg où furent déployés des Pershing sur une base militaire.
Le document exige un retrait total des armes nucléaires d'Allemagne, un
arrêt de la modernisation des arsenaux et une abolition de l'arme
atomique. «Nous n'avons plus de missiles à Mutlangen, mais il y a encore
une vingtaine de bombes atomiques sur la base militaire de Büchel, en
Rhénanie-Palatinat. Nous continuons à faire pression pour nous en
débarrasser.»
S'il se félicite de constater que plus de 500 maires allemands ont
rejoint le mouvement des Maires pour la paix (7500 villes), Wolfgang
Schlupp-Hauck le reconnaît: «La dissuasion nucléaire a échoué», dit-il.
Il fustige les autorités de son pays: «Le Bundestag était favorable en
2010 à l'élimination totale des armes nucléaires, mais le gouvernement a
finalement décidé de maintenir le parapluie nucléaire américain. C'est
schizophrénique.»
Le témoignage des /Hibakusha/
La présence au Palais des Nations de Kodama Michiko, une Hibakusha
(survivante d'Hiroshima), n'est pas passée inaperçue. Cette Japonaise
avait 7 ans le 6 août 1945 et était dans son école primaire quand les
Etats-Unis lâchèrent la bombe atomique sur sa ville. Rentrant sur le dos
de son père, elle a pu constater les horreurs de l'arme atomique: «J'ai
vu l'enfer sur terre. J'ai vu un homme avec sa peau complètement brûlée
qui pendait, une mère très brûlée qui portait un bébé tellement calciné
qu'il ressemblait à du charbon.»
Kodama Michiko le confie au /Temps:/ «Nous sommes à un carrefour. Il
faut que les puissances nucléaires changent d'attitude. J'ai l'espoir
d'assister à l'abolition des armes nucléaires avant de mourir.» Elle ne
cache pas être remontée contre le gouvernement du Japon, qui refuse de
signer le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires conclu à New
York en juillet 2017.
Au Palais des Nations, les maires d'Hiroshima et de Nagasaki militent
aussi pour l'abolition de telles armes. Le second, Tomihisa Taue,
ajoute: «Les Hibakusha sont en train de disparaître. Nous ne pouvons
oublier. Nous devons continuer à parler fortement de l'enfer nucléaire.»
«La menace du recours à l'arme nucléaire croît»
Du côté des Etats, on le reconnaît: le Traité de New York, approuvé par
122 Etats mais boycotté par les puissances nucléaires et membres de
l'OTAN (sauf les Pays-Bas), est désormais sur la table. Il ne peut plus
être disputé ou ignoré. En 2020, le TNP sera en vigueur depuis cinquante
ans. Il demeure une composante fondamentale du régime de non-prolifération.
Izumi Nakamitsu, sous-secrétaire général de l'ONU pour le désarmement,
l'a souligné lundi: «Le succès et la crédibilité [du TNP] ne peuvent et
ne doivent pas être pris pour argent comptant. Car le monde fait face
aux mêmes défis qu'au moment où le TNP a vu le jour. La menace du
recours à l'arme nucléaire croît.» Le patron de l'ONU, Antonio Guterres,
s'adressera d'ailleurs directement à la société civile le 24 mai à
l'Université de Genève, où il tiendra un grand discours sur le
désarmement et présentera un papier stratégique.
Le TNP, un instrument central
Si la Confédération évalue encore l'opportunité de ratifier le Traité de
New York, l'ambassadrice de Suisse auprès de la Conférence du
désarmement, Sabrina Dallafior, rappelle: «Le TNP est un instrument
central de l'architecture globale de sécurité et la pierre angulaire du
régime de non-prolifération et de désarmement nucléaires. Cet instrument
a grandement contribué à prévenir une large prolifération de l'arme
nucléaire, et par là à la sécurité globale; 185 Etats se sont engagés au
titre du TNP à ne pas chercher à développer ou acquérir de telles armes.
Si le traité légitime la possession de l'arme nucléaire par cinq Etats
(Chine, France, Grande-Bretagne, Russie, Etats-Unis), il les engage
cependant à oeuvrer de bonne foi sur la voie du désarmement. Il s'agit
là de la seule obligation juridiquement contraignante relative au
désarmement nucléaire.»
Stéphane Bussard <https://www.letemps.ch/auteur/146>
Publié mercredi 25 avril 2018
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