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<h1><span>La Bosnie, arrêt obligé des migrants en quête d’Europe</span>
</h1>
<p class="lead"> Plus de 5000 migrants sont bloqués dans le pays,
alors que de nouvelles arrivées massives sont attendues au
printemps. L’Union européenne investit pour «retenir» les
candidats à l’exil dans les Balkans </p>
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<p style="">Le plus grand squat de Sarajevo se trouve au cœur de
la vieille ville, à quelques pas de la célèbre place aux
pigeons, en face de la Faculté de théologie islamique. Lahcen
vient de Tanger. Le jeune homme clopine sur le sol en béton
dans de vieilles baskets enfilées comme des pantoufles: il
garde de sa dernière tentative de passage de terribles
engelures aux pieds. «J’ai marché sept jours dans la neige
pour traverser la Croatie. La police m’a arrêté un peu avant
que j’arrive à la frontière slovène», souffle-t-il.</p>
<p>La nuit est tombée sur Izacic. Malgré la neige, le ballet des
voitures et des camions se poursuit dans l’unique rue du
village, à la pointe nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine,
jouxtant la frontière croate. Cinq ressortissants d’Algérie et
du Maroc sont attablés sous la véranda d’un café, ni chauffée
ni éclairée. Un camion ralentit et s’arrête devant l’épicerie
située de l’autre côté de la rue. Aussitôt, deux d’entre eux
se ruent pour tenter de voir s’il est possible de se glisser
sous la remorque.</p>
<p>«J’ai un ami qui a réussi à le faire», assure Mustafa,
21 ans, originaire d’Alger. «Au bout de trente heures, il est
arrivé en Autriche!» La performance fait rêver le jeune homme,
mais les deux candidats au départ reviennent vite prendre leur
place, couverts de neige, tandis que le camion s’ébranle vers
le poste-frontière.</p>
<h3>Tentative dans la neige</h3>
<p>Beaucoup de migrants arrivent pourtant à passer. A condition,
bien sûr, d’aider un peu le sort. «Si les migrants s’entendent
avec le chauffeur et le chauffeur avec des policiers, le
camion ne passera pas au scanner de contrôle. L’autre option
est de s’entendre avec un chauffeur de taxi, lui aussi de
mèche avec la police», explique un travailleur humanitaire.
«Franchir cette frontière n’est pas très difficile si l’on a
de l’argent.»</p>
<p>Justement, de l’argent, Mustafa et ses amis n’en ont pas. Il
ne leur reste donc qu’à tenter et retenter le «game», ce jeu
du chat et de la souris auquel se livrent les candidats à
l’exil et la police depuis que la route des Balkans est
officiellement fermée. Le but est de franchir la frontière à
pied en échappant aux patrouilles. Les candidats au départ ne
se laissent pas impressionner par la neige: ils considèrent
même qu’elle réduira le nombre de policiers sur leur chemin.
Ils s’engagent au péril de leur vie dans les collines qui
séparent la Bosnie-Herzégovine de la Croatie, sans
entraînement, ni équipement ou vêtements adéquats; 23 500
migrants ont traversé la Bosnie-Herzégovine au cours de
l’année 2018.</p>
<h3>«Interdits de camps»</h3>
<p>Mustafa a déjà tenté une dizaine de fois de passer, certains
de ses amis plus souvent encore, et l’histoire s’est toujours
terminée de la même manière: une arrestation par la police
croate, avec son lot de violences gratuites, puis un retour
forcé en Bosnie-Herzégovine. Les jeunes hommes montrent les
écrans de leurs téléphones portables, brisés par les policiers
croates. Tous parlent de coups et d’argent volé.</p>
<p style="">Le visage d’ange de Mustafa est affiché au mur du
bureau de la direction du camp de Bira, à Bihac, le chef-lieu
du canton d’Una Sana, où se concentrent les deux tiers des
migrants présents en Bosnie-Herzégovine. Il figure sur la
liste des «interdits de camp», qui recense une vingtaine de
personnes. Hormis un ou deux Pakistanais suspectés de se
livrer au trafic de drogue, tous les proscrits viennent
d’Algérie ou du Maroc. On leur reproche d’avoir volé des
téléphones, des vêtements, ou d’avoir provoqué des bagarres.
Les ressortissants du Maghreb – de jeunes hommes célibataires
– ont mauvaise réputation sur tous les chemins des Balkans,
peut-être parce qu’ils sont très minoritaires face aux «gros
contingents» venus d’Afghanistan et du Pakistan.</p>
<h3>Enorme bagarre</h3>
<p>Coincé entre des lignes à haute tension et un centre
commercial, en périphérie de la ville de Bihac, le camp de
Bira a ouvert en novembre. Dans les immenses hangars de cette
ancienne fabrique de réfrigérateurs, plus de 2200 personnes
sont hébergées. La capacité initialement prévue était de 1500
places, mais elle a été bien vite dépassée.</p>
<p>D’immenses tentes, financées par le Croissant-Rouge de
Turquie, ont été montées à la hâte, à côté des containers
«familiaux» prévus par l’Organisation internationale pour les
migrations (OIM), qui gère le camp. Vendredi soir, peu après
21 heures, une énorme bagarre a éclaté, faisant des dizaines
de blessés et d’énormes dégâts matériels. La police du canton
est intervenue, interpellant une cinquantaine de personnes,
dont onze ont été maintenues en détention, huit Afghans, deux
Pakistanais et un Indien…</p>
<p>De grandes palissades ont été installées pour séparer les
préfabriqués dans lesquels sont logés les familles, les femmes
seules et les mineurs isolés. Dans la partie réservée aux
célibataires, des bagarres éclatent toutes les nuits. «On
entend des cris, des coups», raconte Djamilah, issue de la
minorité arabe d’Iran. La jeune femme ose à peine sortir de
son petit logement, de peur de subir une agression. «Un camp
de plus de 2200 personnes, c’est compliqué à gérer, surtout
quand les gens sont désespérés de ne pas réussir à passer et
restent là parce qu’ils n’ont plus d’argent», reconnaît
Stéphane Moissaing, chef de mission de Médecins sans
frontières (MSF) dans les Balkans.</p>
<h3><strong>Hospitalité intéressée</strong></h3>
<p>Depuis quelques semaines, beaucoup de migrants quittent la
Bosnie-Herzégovine pour revenir en Serbie, où les camps gérés
par le gouvernement offrent de meilleures conditions. Il
s’agit pour eux de passer les mois d’hiver, avant de reprendre
la route au printemps. Et la police serbe laisse entrer ces
migrants qui semblent avancer à contresens. Belgrade a en
effet touché près de 100 millions d’euros d’aide européenne
depuis 2016 et a «besoin» de remplir ses camps pour justifier
le maintien de ces dotations. La migration, rappelle Stéphane
Moissaing, «cela représente beaucoup d’argent, des emplois
directs et indirects, du commerce, légal comme illégal». Une
manne précieuse pour tous les pays des Balkans.</p>
<p>L’OIM gère deux autres centres d’accueil dans le canton
d’Una-Sana, Sedra et Borici, qui sont réservés aux populations
vulnérables, familles, femmes et mineurs isolés. Ancien
orphelinat abandonné depuis les années de guerre, Borici était
jusqu’à l’automne un immense squat où s’entassaient plus d’un
millier de personnes, et où les passeurs faisaient ouvertement
leurs affaires. L’Union européenne finance les travaux de
rénovation du bâtiment, appelé à devenir un centre d’accueil
durable. «Bien sûr, tout le monde s’attend à une nouvelle
vague au printemps», reconnaît le responsable de MSF. «Comme
les frontières de la Croatie ne vont pas s’ouvrir, beaucoup de
gens resteront bloqués en Bosnie, dans la région de Bihac, du
moins tant que de nouvelles routes n’apparaîtront pas.»<br>
</p>
<p>Jean-Arnault Dérens, envoyé spécial à Bihac<br>
Publié dimanche 3 février 2019<br>
</p>
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